« Not my daughter, you bitch! » (Harry Potter et le genre – 1)

A Cultures genre, on est fan d’Harry Potter (presque) depuis le premier jour. Et, pour notre plus grand plaisir, c’est un livre où les personnages féminins sont nombreux et originaux. Mais à y regarder de plus près, J.K Rowling remet-elle vraiment en cause les répartitions traditionnelles entre les genres et les stéréotypes qui les concernent? C’est une question que nous comptons traiter dans toute une série d’articles, à compter d’aujourd’hui.

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“Not my daughter, you bitch!”

Dans Harry Potter, les mères sont exemplaires : prêtes à tout pour leur progéniture, la fibre maternelle les pousse parfois jusqu’au sacrifice.

« Ta mère est morte pour te sauver la vie. S’il y a une chose que Voldemort est incapable de comprendre, c’est l’amour. Il ne s’est jamais rendu compte qu’un amour aussi fort que celui que ta mère avait pour toi laisse sa marque. Pas une cicatrice, ou un signe visible… Avoir été aimé si profondément te donne à jamais une protection contre les autres, même lorsque la personne qui a manifesté cet amour n’est plus là. » (Harry Potter à l’école des sorciers).

Lily Potter, prête à mourir pour protéger son fils.

Dès le premier tome, les choses sont claires : Harry Potter a été sauvé par le sacrifice de sa mère, qui le protège jusqu’à sa majorité, comme le lui explique Dumbledore :

« Elle t’a ainsi doté d’une protection durable qu’il n’avait pas prévue et qui, encore aujourd’hui, coule dans tes veines. […] Le sacrifice de ta mère avait fait de ce lien du sang le plus puissant bouclier que je pouvais t’offrir. […] Tant que tu pourras considérer comme ta maison le lieu où réside le sang de ta mère, il sera impossible à Voldemort de t’atteindre ou de te faire du mal en cet endroit-là. Il a versé le sang de ta mère, mais ce sang vit en toi et en sa sœur, il est devenu ton refuge. […] Tu n’as besoin de retourner là-bas qu’une fois par an mais aussi longtemps que cette maison reste la tienne, Voldemort ne peut rien contre toi lorsque tu t’y trouves. » (Harry Potter et l’ordre du Phénix).

Pourtant, le thème de l’amour sacrificiel n’est pas seulement un ressort romanesque permettant d’expliquer pourquoi Harry est le seul à pouvoir combattre Voldemort ; c’est aussi un motif récurrent du récit, qui définit presque tous les personnages maternels.
En effet, chacune à leur manière, les mères sont hyper protectrices et sacrificielles : on ne compte plus les fois ou Pétunia prend la défense de son Duddy chéri ; Mrs Croupton se sacrifie pour que son fils vive en prenant sa place à Azkaban dans La coupe de feu. Cela va jusqu’aux dragons, lors de la première tâche du Tournoi des trois sorciers : ce sont en réalité des dragonnes en train de couver et elles sont, en conséquence, présentées comme nécessairement plus agressives.
En quelque sorte, cette caractérisation de l’amour maternel minore le sacrifice de Lily pour son fils : il ne s’agit pas d’un acte héroïque mais d’un geste qui relève presque de l’instinct et dont toute mère, au fond, serait capable si sa progéniture était mise en danger. Ce qui est héroïque et phénoménal, c’est peut-être plus ce dont est capable Harry grâce au sacrifice de sa mère, que le sacrifice lui-même.

De fait, on retrouve à d’autres reprises ce motif mis en scène, et en premier lieu chez Molly Weasley, la mère par excellence, présentée explicitement comme la mère de substitution de Harry (« – Il n’est pas ton fils, dit tranquillement Sirius. – C’est comme s’il l’était, répliqua Mrs Weasley »).
Pour elle, il s’agit de sauver Harry, tout comme ses enfants, de tous les dangers possibles. Dans L’ordre du Phénix, son épouvantard prend la forme des cadavres de ceux qu’elle aime. Et que penser de l’horloge qu’elle a sans cesse sous les yeux (puisqu’elle ne sort guère de chez elle, cf. un prochain article), et qui peut lui indiquer, comme dans le dernier tome, que ceux-ci sont tous en danger de mort ?
Caractérisée par l’angoisse de la perte de ses enfants, elle ne se révèle héroïque que lorsque sa fille est en danger, et que son fils Fred vient de mourir lors de la bataille finale à Poudlard. Elle se jette alors sur Bellatrix Black :

« Pas ma fille espèce de garce ! » [ce qui, au passage, traduit un peu trop poliment le « bitch » de la version anglaise, sur lequel on pourrait gloser un certain temps]. Dans un grand mouvement de baguette, elle engagea le combat. […] Des traits de lumière jaillissaient des deux baguettes, le sol autour des deux sorcières était brûlant, craquelé. Les deux femmes se livraient un duel à mort. « Non ! » s’exclama Mrs Weasley lorsque plusieurs élèves se ruèrent à sa rescousse. « Reculez ! Reculez ! Elle est à moi! » […] « Qu’arrivera-t-il à tes enfants quand je t’aurai tuée ? » railla Bellatrix, aussi démente que son maître, faisant des bonds pour éviter les maléfices qui dansaient autour d’elle. « Quand maman sera partie de la même manière que Freddie? » « Tu…ne…toucheras…plus jamais…à nos…enfants ! » hurla Mrs Weasley.[…] Le maléfice de Molly passa sous le bras tendu de Bellatrix et la frappa en pleine poitrine, juste au-dessus du coeur. » (Harry Potter et les reliques de la mort).

Une phrase devenue culte – mais Molly est-elle vraiment une femme forte?

Le dialogue entre les deux femmes le met bien évidence : ce n’est que pour sauver ses enfants que Molly se révèle une excellente sorcière. Son adversaire l’a d’ailleurs compris, qui la provoque en appuyant là où cela fait mal, c’est-à-dire sur la fibre maternelle. Il n’est pas question, ici, de lutte contre le mal absolu : pour une mère comme Molly, le seul véritable mal qui existe est celui qui met en danger sa famille.
Qui plus est, en opposant ainsi Bellatrix, celle qui n’a pas d’enfant, et Molly, la mère accomplie, le récit n’hésite pas à verser dans l’allégorie : l’histoire d’Harry Potter avait commencé par un sacrifice maternel face à quelqu’un que cet amour laisse de marbre, et c’est ainsi qu’il finit. Plusieurs fois.

Car Bellatrix la cruelle ne s’oppose pas seulement à Molly, mais également aux membres de son propre camp, et en particulier à sa sœur, Narcissa. Celle-ci finit par sauver Harry Potter, cachant à Voldemort qu’il est encore vivant, pour que Draco vive : elle est en quelque sorte régénérée par l’amour maternel qu’elle porte à son fils.
La différence entre les deux sœurs est mise en avant depuis longtemps. Dans La coupe de feu, Narcissa avait déjà été présentée comme une mère protectrice de plus, qui refusait que Draco aille faire ses études à Durmstrang, par peur de le voir trop s’éloigner.
Le Prince de Sang-Mêlé s’ouvre quant à lui sur la confrontation entre les deux sœurs alors qu’elles se rendent chez Rogue : Bellatrix pour l’accuser, Narcissa pour sauver la vie de Malfoy. Les portraits sont alors très clairement opposés. Narcissa est une épouse et une mère inquiète pour son fils, prête à jeter un sort à sa propre sœur, et que l’angoisse pour ceux qu’elle aime rend hystérique : « Il n’y a rien que je ne ferais pas désormais ! dit Narcissa dans un souffle, une note d’hystérie dans la voix ».

Tandis qu’elle s’assoit avec précipation, « fixant ses mains blanches et tremblantes crispées sur ses genoux », Bellatrix a un meilleur contrôle sur elle-même ; elle est aussi brune que sa sœur est blonde, sa mâchoire est forte (bref, elle serait un peu plus masculine ?). Elle est là pour accuser, alors que Narcissa, dans l’attente angoissée, ne s’exprime qu’en pleurant.

Quoi de plus clair que ce dialogue confrontant les deux sœurs :

« Mon fils…mon fils unique… », pleure Narcissa; et Bellatrix de lui répondre : « Tu devrais être fière […], si j’avais des fils, je serais heureuse de les mettre au service du Seigneur des Ténèbres ».

On comprend mieux alors le rire sadique de Bellatrix quand celle-ci combat Molly et lui rappelle son statut fragile de mère aimante : elle ne connaît pas l’amour maternel. Reste à savoir si la fascination qu’elle ressent pour Voldemort n’est pas de l’ordre de l’amour passionnel : les femmes, dans Harry Potter (et non les jeunes filles) n’ont-elles le choix qu’entre être l’amour maternel et la passion destructrice ?

Les figures maternelles sacrificielles sont donc déclinées à toutes les sauces dans chaque tome d’Harry Potter. Seule la mère géante d’Hagrid n’avait pas « la fibre maternelle ». Mais si ce sont sans cesse les sacrifices maternels qui sont évoqués, pour autant, il n’est pas question de courage. Le sacrifice serait-il la forme poussée de l’instinct maternel ? Le courage se révèle être un attribut tout masculin : c’est du courage de James Potter dont il est question quand on cherche à caractériser Harry, autant dans la bouche de Voldemort (« Affronte-moi comme un homme ») que dans celle de Sirius (« Tu as été courageux comme ton père »). Et quand, dans le dernier tome, Harry perd patience contre Lupin dont il dit mépriser la lâcheté, c’est parce que celui-ci refuse de protéger son fils comme James l’a protégé lui – ce qui n’est pourtant pas tout à fait la réalité.

Jessica

5 commentaires sur « « Not my daughter, you bitch! » (Harry Potter et le genre – 1) »

  1. Merci pour cet article (et pour la série qui suivra)
    Juste une petite précision : c’est amusant que tu évoques « la femme forte » comme une alternative possible à la mère sacrificielle (sous la vignette) car c’est une expression récurrente au XIXe, un modèle de femme tiré de la Bible : « la femme forte », c’est D’ABORD la mère qui remplit glorieusement tous ses devoirs, ce n’est donc pas du tout un modèle alternatif au XIXe.

    1. Au temps pour moi, ça m’apprendra à mettre des légendes trop rapidement…Cela dit, c’est une notion à revoir à l’aune des représentations contemporaines: dans Harry Potter, la « vraie fille », c’est celle qui ne chouine pas et qui se comporte comme un garçon (à l’instar de Ginny) – et elle est bel est bien présentée comme une femme/fille forte. Affaire à suivre!

      1. Mais elle finit avec son amour de toujours et ils ont plein d’enfants, trop heureux etc… :p donc le modèle n’est que celui du mariage pour une vie heureuse?

      2. Sans aucun doute! Pour résumer sans trop spoiler, J.K Rowling présente des personnages féminins qui ont le mérite d’être diverses, nombreux, et au caractère assez fort, mais qui, en définitive, finissent toujours par rentrer dans des schémas assez classiques…

  2. Aimant beaucoup beaucoup Harry Potter, je ne sais peut-être pas d’une objectivité extrême. Mais Harry Potter est avant tout un saga sur la force de l’amour (et l’importance d’accepter la mort mais c’est encore autre chose). J’ai du mal à voir l’amour maternel (et non pas l’instinct) comme quelque chose de foncièrement sexiste.
    D’autant que l’amour n’est pas spécifiquement genré dans Harry Potter. Dans le dernier tome, quand la père de Luna essaie de les livrer aux mangemorts pour retrouver sa fille, Harry fait très clairement un parallèle entre le père de Luna et sa propre mère.
    Sur la question sacrificielle, il faut souligner que Harry lui même va se sacrifier à la fin car c’est le seul moyen de détruire Voldemort. Il fait aussi clairement le parallèle avec le sacrifice de sa mère dans le dialogue avec Voldemort quand il explique que grâce à son sacrifice volontaire, Voldemort ne peut plus faire du mal à ceux qu’il aime.
    Enfin, sur la question des mères, il est dommage d’oublier Tonks qui laisse son bébé nouveau né à sa mère pour aller combattre lors de la bataille de Poudlard.

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